30 avril 2007

Dance of Fire, par Aziza Mustafa Zadeh




Aziza Mustafa Zadeh, pianiste, chanteuse, compositeur, est la fille du grand pianiste jazz azeri Vagif Mustafa Zadeh qui a inventé le style Jazz-Mugam, mélange de jazz et de musique traditionnelle d’Azerbaïdjan. (Mon copain Olivier qui a vécu là-bas, à Bakou m’a rapporté des disques pirates de Vagif.) Sa mère, Eliza, est une cantatrice d’origine georgienne. Aziza a hérité de tous leurs talents et sa formation de pianiste classique a ajouté encore une autre palette à sa musique.

Aziza est née le 19 décembre 1969 soit 10 jours avant moi. Elle est cataloguée en ‘jazz fusion’; c'est un terme que j’aime pas trop. Il évoque le no-man’s land des section jazz, les soupes jazz rock électronique. Disons simplement que Zadeh compose et joue du jazz, avec de fortes couleurs de mugam et de musique classique contrapuntique. Malgré la première partie de son patronyme qui évoquerait plutôt un balèze à grosses moustaches, Aziza est aussi une très belle femme, et consciente de l'etre, avec de grands yeux noirs, une moue et un port altier de princesse arabo-andalouse.

Dance of Fire, paru en 1995, est le troisième disque d’Aziza et le premier que j’ai écouté. En 1996, Seventh Truth est paru, et c’est le disque que nous écoutions en boucle pendant notre croisière aux Grenadines avec Séverine, Christophe et Philippe (avec Austin Powers, bien sur). Un disque mélancolique qui reste associé à la couleur bleue et à la lecture de Nostromo. J’aime aussi Shamans (2002). Mais restons sur Dance of Fire, qui est toujours mon disque préféré de Mustafa Zadeh.

Le meilleur moment est la suite instrumentale Dance of Fire, en quatre parties (Boomerang, Dance of Fire, Sheherazadeh, Aspiration) avec andantes, allegro et tutti quanti. Un jazz orchestral tres écrit. Un son plein, intense, baroque et andalou. Piano, guitare acoustique flamenco (le grand Al di Meola), guitare électrique basse.J’aime aussi Bana Gal, seul morceau où la Diva fait entendre sa magnifique voix de soprano. (Elle chante plus souvent dans les disques suivants.) J’aime aussi Passion et To be Continued, cantates be-bop. Aziza n'est pas la seule musicienne de jazz influencée par Bach, mais chez elle l’influence est directe et explicite.

Aziza est parfois difficile à trouver dans les bacs. On a trouve tantôt en 'jazz', tantôt en 'fusion', tantôt en ‘world’, et parfois pas du tout. Le mieux c’est encore online.

http://www.azizamustafazadeh.de/
http://www.azizamustafazadeh.com/

23 avril 2007

Balladur en tailleur (6 enseignements du premier tour)

1/ Vive les nouvelles technologies. Ne recevant aucune chaîne française sur la TV, j’ai tout de même pu voir la soirée électorale en direct, en streaming sur toutes les chaines, dans une qualité d’image très correct via internet. Ils ont fait un bel effort pour les expats. A ce propos Le Monde nous apprend que le nombre d'inscrits sur les listes électorales a plus que doublé par rapport à 2002: 941 364 électeurs, soit 436 063 électeurs de plus qu'en 2002 (encore un effet 21-avril). Le Monde toujours : En Grande-Bretagne, où l'on estime à 300 000 le nombre des Français, 52 000 s'étaient inscrits sur place pour le scrutin 2007. 15 064 électeurs, soit 32 %, ont pris part au vote, dont 13 560 à Londres. L'électorat français du royaume est très jeune, 29 ans en moyenne [un peu comme moi]. Avec 40,85 %, Nicolas Sarkozy devance Ségolène Royal (30,61 %) et François Bayrou (21,30 %). Les autres candidats, dont Jean-Marie Le Pen, sont écrasés.

2/ Des bonnes et des moins bonnes nouvelles. Good news first: super participation, great turnout, marginalisation des extrêmes et lamination des anti-européens - Le Pen à 11%, le PC a' 2% et Bové à 1% ça c'est des bonnes nouvelles. Maturité du corps électoral, notamment a' gauche et puissant effet anti 21-avril (moi personnel j’avais voté utile en 2002). En 2002 bien sur tout le monde avait pointé la mauvaise campagne de Jospin et la conjonction de circonstances amenant le Pen au deuxième toujours mais personne n’a eu l’idée de noter l’absurdité intrinsèque du scrutin présidentiel à deux tours.

3/ L'interminable discours de Ségo en blanc sur blanc (my god : plus royaliste tu meurs) a été la grande marrade de la soirée. La Royal m'a plus que jamais rappelé coach Santini dans les guignols. Même un jour comme ça, ou elle est sensée galvaniser le peuple, elle continue la com soporifique/hypnotique. On a vraiment envie de lui donner des coups de pied au cul pour la réveiller. Jean-Marc Giri a trouvé la formule qui tue : ‘Balladur en tailleur’. Difficultés de lecture ou balai dans le fondement, malaise en présence de supporters surexcités? C’est vrai que tout ces gens qui font du zèle et veulent pas s’arrêter de t’applaudir, c’est un peu vulgaire. A mon humble avis la pauvre Ségo n'a pas l'ombre d'une chance au deuxième - même si elle récupère la moitié des voix de Bayrou (comme le suggère les sondages) et fait le plein à gauche, ça suffira pas. Le total gauche est pas impressionnant.

5/ La TV sur internet m'a aussi permis de revoir la gueule enfarinée de Fabius, ce traître – maudit soit-il, et qu'Allah le pende par les génitoires. Et à chaque fois je repense à sa responsabilité historique dans un possible déraillement de l'Europe, et je me redis que le fait de ne pas l'avoir exclu du parti à ce moment là, était peut-être aussi l'arrêt de mort du PS (pour qui j'ai voté, quand même).

6/ La forte participation ne signifie pas nécessairement que la campagne a été de qualité. Personnellement je n'ai pas une haute opinion d'aucun des trois principaux candidats et de leurs programmes. Tous ont focalisé sur deux messages simples 'je suis différent' et 'nous pouvons avoir le beurre et l'argent du beurre', aucun n'a parlé avec courage de l'Europe et de la Constitution. Le mot Europe en particulier a été totalement absent de cette campagne. Seuls les anti-européens en ont parlé, comme d'habitude. Même Bayrou, censément pro-européen, a été très discret sur ce thème, focalisant tout sur le rejet (modéré) du ‘système’. On continue de faire semblant de penser que l'avenir des français peut dépendre de cette élection, suivie de décisions souveraines prises dans le 8eme et le 6eme arrondissement.

7 avril 2007

Le Festin de Juliette, par Juliette Nourreddine


J'ai envie d'écrire une série sur mes disques préférés. Pour vous donner envie de les acheter. J’ai envie de commencer par mon album de chevet depuis quelques mois. Le Festin de Juliette de la grande Juliette Noureddine, publié en 2002. Chaque écoute est une jubilation. C’est le meilleur disque français des dix dernières années, depuis Fantaisie Militaire de Baschung en 1998.

La patronne

Profonde et jamais grave, émouvante mais pas mélo. Drôle, moqueuse, gourmande, toujours changeante, Juliette s'amuse avec les mots et les styles musicaux. Rabelaisienne insolente et tendre, joignant la liberté de forme à une versification irréprochable (alexandrins, octosyllabes, rimes toujours ‘suffisantes’), elle est la seule chanteuse vivante à me rappeler le grand Georges. En fait l'impression dominante c'est l'autorité, la maitrise et la force tranquille de la Diva. Comme Barbara j'en suis sur, ses hommes la nomment 'Patronne'.

Le fond et la forme

Vous vous souvenez des commentaires composés? Ou on était censé montrer l’art d’un auteur par l’analyse de l’adéquation entre ‘le fond’ et ‘la forme’. La qualité d’un texte résidait dans la manière avec laquelle l’auteur mettait le style au service du sens. Eh bien c’est ça qui est admirable dans cet album – la capacité de Juliette à inventer la musique et les arrangements qui font de chacun ses textes ciselés une sorte de mini opéra avec changements d'humeur et de couleur musicale, rebondissements, alternance de farce et de tragédie. Comme chez Brel, Piaf et Barbara, chaque chanson est une histoire et un film. Juliette est aussi une grande humoriste et comme Sylvie Jolie ou Valérie Lemercier, chacun de ses sketches est raconté à la première personne.

Les arrangements sont un perpétuel délice, chaque nouvelle écoute révèle des trouvailles. Styles, bruitages, changements de rythme ; chacune des 11 chansons est un drame en trois actes et cinq minutes.

L’Eternel Féminin.
Prenant au mot le péché originel et la diabolisation éternelle de la femme, Juliette nous révèle ce que nous savions au fond depuis toujours : ‘Le diable est une femme / Les femmes c’est le diable’. D’ailleurs ‘La place d’une femme n’est-elle pas au foyer?’ Et Juliette la diablesse de conclure dans un soupir :

Et pour me faire ‘venir’
D’une voix qui frissonne
Il suffit de redire
‘Patronne’


Impatience.
Ecriture plus traditionnelle et sobre sur les 'plaisirs sans engagement' – non pas sur l'acte mais l’attente et l’anticipation du plaisir. Ici Juliette n’est pas l’actrice du drame mais la narratrice, le témoin. Dans la rue près de chez un ancien amant, elle reconnaît dans la démarche et l’air d’une passante les sentiments qu'elle connaît bien: 'L’heure des ivresses et des plaisirs / Que j’aimais tant qu’il y a longtemps'.Pour arranger la mélodie nostalgique et rétro, l’arrangement suave et tendre des films français des années 50 – swing guitare piano. Vacances de Monsieur Hulot.

Elle savait que le désir
Serait le maitre du moment
A l’heure où rien ne doit se dire
Qui ne soit mensonge ou serment


Garcon manqué.
Juliette a dix ans. Demain pour son anniversaire on lui donnera une boite de mécano, une tenue de zorro. 'Adieu les sales poupées, les jupes et les jupons'. Si elle arrive à traverser le pont de liane du tapis de l’entrée, infesté de serpents, comme son héros Indiana Jones. Charmant.
Comptine et film d’aventure Musique aux accents gréco-orientaux. Balafon africain.

Quand on vous aime comme ça.
L’héroïne de la chanson quitte son loft du 11eme pour s’en retourner à la terre et faire du vin bio. 'C’est une horrible piquette / Mais je la vends sur internet'. Ddénonciation des bobos cyniques anti-mondialistes.

Pour lutter contre la mondialisation
J’anime une association
On démonte des pizzerias
Au village on n'a que ca.


Arrangement successivement new age/hindou, puis breton/rock-musette

Mode d’emploi
La diva est finalement humaine. Comme chacun de nous simples mortels, elle ne sait pas lire les notices. Desproges déjà dans ses chroniques de la haine ordinaire dénonçait à juste titre le complot des objets contre nous – cintres, meubles en kit, portions de fromage fondu. Et les modes d'emploi font partie du problème.

Pour déballer une vache qui rit
Un CD d’Francois Valéry
C’est fou comme le monde se complique
Quand on lit pas les fiches techniques


Charmante petite comptine contre la vie quotidienne avec la encore l’arrangement qui va bien : une comptine au balafon.

Il n’est pas de plaisir de plaisir défendu
Encore une chanson épicurienne, d’une folle fantaisie. Trois couplets particulièrement savoureux.

Elle a goûte, sucé, mordu
Le succulent fruit défendu
Le bonheur vaut la réprimande


Elle est si bonne l’eau Jésus
Quelle idée de marcher dessus
Viens te baigner, rejoint la bande


Vive la barbe et les barbus
Allons au bois monsieur Landru
Envers vous ma confiance est grande

(Avec imitation de Bardot en prime).

Ambiance musique pieuse avec chœur à la con, mais chaque couplet dans un style différent : bossa nova, musique militaire, chanson réaliste, gipsy king, bretonneries.

La paresse est un hommage à la paresse en forme de berceuse ‘steel band’. Un ragga abscons est ragga-muffin gascon endiablé ou l’accordéon chauffe dur, la patronne fait ronfler l’accent du Gers dans une logorrhée de termes abscons, comme ceux qu’on était censé placer dans nos commentaires composés, vous vous souvenez ? Comme ‘logorrhée’. N’est-il pas plus abstrus que ses amphigouris?

Le dernier mot
Ma chanson préférée d’un album ou j’aime chacune des chansons. Cinq minutes de plaisir total et jubilatoire. J’ai été surpris à l’instant de voir sur l'écran de l’ipod de voir une durée de 5 minutes. Il se passe tellement de choses passionnantes dans ce texte et cette musique que je pensais que la chanson durait 7 ou 8 minutes. Festin d’intelligence. Juliette y passe en revue le mythe romantique du dernier mot et conclut que ce qu'on a à dire, 'il faut le dire avant'. Arrangements flamboyants à dominante jazz latino, saxo, saxo basse (rare), piano, guitare électrique, super passage salsa, plein de percus.

Sans doute l’idéal serait de la fermer
Un adieu du regard à ceux qu’on a aimé
Certes je me tairai si j'en ai le courage
Mais vous me connaissez
Et il serait dommage
D'aller contre nature
Que tradition se perde
Une dernière fois je pourrai dire
Merde


Le Festin de Juliette
Procession macabre et épicurienne. Accents de Poe, Brel (variation sur Le dernier repas), cuivres, cloches et pipeau (Danny Elfman dans L’Etrange Noel de M. Jack).

Tout est bon dans le cochon et tout est bon dans Juliette. D'ailleurs laissons lui le dernier mot.

Oui pour une gourmande
C'est une fin parfaite
De sceller son destin
Au festin de Juliette


Achetez le disque