7 avril 2007

Le Festin de Juliette, par Juliette Nourreddine


J'ai envie d'écrire une série sur mes disques préférés. Pour vous donner envie de les acheter. J’ai envie de commencer par mon album de chevet depuis quelques mois. Le Festin de Juliette de la grande Juliette Noureddine, publié en 2002. Chaque écoute est une jubilation. C’est le meilleur disque français des dix dernières années, depuis Fantaisie Militaire de Baschung en 1998.

La patronne

Profonde et jamais grave, émouvante mais pas mélo. Drôle, moqueuse, gourmande, toujours changeante, Juliette s'amuse avec les mots et les styles musicaux. Rabelaisienne insolente et tendre, joignant la liberté de forme à une versification irréprochable (alexandrins, octosyllabes, rimes toujours ‘suffisantes’), elle est la seule chanteuse vivante à me rappeler le grand Georges. En fait l'impression dominante c'est l'autorité, la maitrise et la force tranquille de la Diva. Comme Barbara j'en suis sur, ses hommes la nomment 'Patronne'.

Le fond et la forme

Vous vous souvenez des commentaires composés? Ou on était censé montrer l’art d’un auteur par l’analyse de l’adéquation entre ‘le fond’ et ‘la forme’. La qualité d’un texte résidait dans la manière avec laquelle l’auteur mettait le style au service du sens. Eh bien c’est ça qui est admirable dans cet album – la capacité de Juliette à inventer la musique et les arrangements qui font de chacun ses textes ciselés une sorte de mini opéra avec changements d'humeur et de couleur musicale, rebondissements, alternance de farce et de tragédie. Comme chez Brel, Piaf et Barbara, chaque chanson est une histoire et un film. Juliette est aussi une grande humoriste et comme Sylvie Jolie ou Valérie Lemercier, chacun de ses sketches est raconté à la première personne.

Les arrangements sont un perpétuel délice, chaque nouvelle écoute révèle des trouvailles. Styles, bruitages, changements de rythme ; chacune des 11 chansons est un drame en trois actes et cinq minutes.

L’Eternel Féminin.
Prenant au mot le péché originel et la diabolisation éternelle de la femme, Juliette nous révèle ce que nous savions au fond depuis toujours : ‘Le diable est une femme / Les femmes c’est le diable’. D’ailleurs ‘La place d’une femme n’est-elle pas au foyer?’ Et Juliette la diablesse de conclure dans un soupir :

Et pour me faire ‘venir’
D’une voix qui frissonne
Il suffit de redire
‘Patronne’


Impatience.
Ecriture plus traditionnelle et sobre sur les 'plaisirs sans engagement' – non pas sur l'acte mais l’attente et l’anticipation du plaisir. Ici Juliette n’est pas l’actrice du drame mais la narratrice, le témoin. Dans la rue près de chez un ancien amant, elle reconnaît dans la démarche et l’air d’une passante les sentiments qu'elle connaît bien: 'L’heure des ivresses et des plaisirs / Que j’aimais tant qu’il y a longtemps'.Pour arranger la mélodie nostalgique et rétro, l’arrangement suave et tendre des films français des années 50 – swing guitare piano. Vacances de Monsieur Hulot.

Elle savait que le désir
Serait le maitre du moment
A l’heure où rien ne doit se dire
Qui ne soit mensonge ou serment


Garcon manqué.
Juliette a dix ans. Demain pour son anniversaire on lui donnera une boite de mécano, une tenue de zorro. 'Adieu les sales poupées, les jupes et les jupons'. Si elle arrive à traverser le pont de liane du tapis de l’entrée, infesté de serpents, comme son héros Indiana Jones. Charmant.
Comptine et film d’aventure Musique aux accents gréco-orientaux. Balafon africain.

Quand on vous aime comme ça.
L’héroïne de la chanson quitte son loft du 11eme pour s’en retourner à la terre et faire du vin bio. 'C’est une horrible piquette / Mais je la vends sur internet'. Ddénonciation des bobos cyniques anti-mondialistes.

Pour lutter contre la mondialisation
J’anime une association
On démonte des pizzerias
Au village on n'a que ca.


Arrangement successivement new age/hindou, puis breton/rock-musette

Mode d’emploi
La diva est finalement humaine. Comme chacun de nous simples mortels, elle ne sait pas lire les notices. Desproges déjà dans ses chroniques de la haine ordinaire dénonçait à juste titre le complot des objets contre nous – cintres, meubles en kit, portions de fromage fondu. Et les modes d'emploi font partie du problème.

Pour déballer une vache qui rit
Un CD d’Francois Valéry
C’est fou comme le monde se complique
Quand on lit pas les fiches techniques


Charmante petite comptine contre la vie quotidienne avec la encore l’arrangement qui va bien : une comptine au balafon.

Il n’est pas de plaisir de plaisir défendu
Encore une chanson épicurienne, d’une folle fantaisie. Trois couplets particulièrement savoureux.

Elle a goûte, sucé, mordu
Le succulent fruit défendu
Le bonheur vaut la réprimande


Elle est si bonne l’eau Jésus
Quelle idée de marcher dessus
Viens te baigner, rejoint la bande


Vive la barbe et les barbus
Allons au bois monsieur Landru
Envers vous ma confiance est grande

(Avec imitation de Bardot en prime).

Ambiance musique pieuse avec chœur à la con, mais chaque couplet dans un style différent : bossa nova, musique militaire, chanson réaliste, gipsy king, bretonneries.

La paresse est un hommage à la paresse en forme de berceuse ‘steel band’. Un ragga abscons est ragga-muffin gascon endiablé ou l’accordéon chauffe dur, la patronne fait ronfler l’accent du Gers dans une logorrhée de termes abscons, comme ceux qu’on était censé placer dans nos commentaires composés, vous vous souvenez ? Comme ‘logorrhée’. N’est-il pas plus abstrus que ses amphigouris?

Le dernier mot
Ma chanson préférée d’un album ou j’aime chacune des chansons. Cinq minutes de plaisir total et jubilatoire. J’ai été surpris à l’instant de voir sur l'écran de l’ipod de voir une durée de 5 minutes. Il se passe tellement de choses passionnantes dans ce texte et cette musique que je pensais que la chanson durait 7 ou 8 minutes. Festin d’intelligence. Juliette y passe en revue le mythe romantique du dernier mot et conclut que ce qu'on a à dire, 'il faut le dire avant'. Arrangements flamboyants à dominante jazz latino, saxo, saxo basse (rare), piano, guitare électrique, super passage salsa, plein de percus.

Sans doute l’idéal serait de la fermer
Un adieu du regard à ceux qu’on a aimé
Certes je me tairai si j'en ai le courage
Mais vous me connaissez
Et il serait dommage
D'aller contre nature
Que tradition se perde
Une dernière fois je pourrai dire
Merde


Le Festin de Juliette
Procession macabre et épicurienne. Accents de Poe, Brel (variation sur Le dernier repas), cuivres, cloches et pipeau (Danny Elfman dans L’Etrange Noel de M. Jack).

Tout est bon dans le cochon et tout est bon dans Juliette. D'ailleurs laissons lui le dernier mot.

Oui pour une gourmande
C'est une fin parfaite
De sceller son destin
Au festin de Juliette


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