7 mai 2007

tout est bon dans la Juliette

Depuis mon papier sur Le Festin de Juliette j’ai écouté ses autres disques, plus anciens et plus récents, et je peux dire que ‘tout est bon dans la Patronne’. Je suis toujours plus impressionné par l’éventail de ses talents et de son tempérament.

Je citais la filiation Brassens pour la rigueur de l’écriture, l’inscription dans l’héritage littéraire et poétique, la vision du monde; mais Brel, le Brel comique et ironique, est une influence plus claire et plus importante dans son interprétation et sa présence théâtrale, son tempérament d’ogre rageur, qui ose tous les effets de voix, les accents, les pastiches, les blagues (au contraire de la sobriété de Brassens). Juliette a beaucoup chanté le grand Jacques sur scène – elle donne une merveilleuse interprétation des Timides dans Deux Pianos.

Le registre thématique et musical de Juliette ne connaît pas de limites ; elle tente tout et excelle partout, jugez vous-même : elle passe du comique-troupier-fanfare à la Fernandel (Revue de détail) à un texte de poète arabe moyenâgeux (L’Ivresse d’Abhu-Nawas). Elle traduit et chante en latin un texte de Baudelaire (Franciscae Mae laudes), avant un sketch musical electro (Fantaisie Héroique) sur ce truc que dans ma boite de geeks on appelle les MMOG (Massively Multiplayer Online Games – bref les jeux de rôle ‘fantasy’ sur internet). Elle s’inscrit aussi avec plus ou moins de distance dans la belle tradition accordéon-musette (chansons comiques ou ‘réalistes’), et nous fait de pures délires potaches à la VRP, à la Coluche (Tout est bon dans le cochon).

Rimes féminines (1995)

La chanson éponyme, une chanson féministe de combat, ouvre le disque avec brio et musique militaire. Puis l’on passe en revue tout l’éventail des femmes et de la condition féminine : égéries, tueuses, géante, soldate, pute, consommatrice, petite fille modèle, maquerelle, amante, avortée, mère de Carlos Gardel, meneuse de revue.
La plupart des paroles sont de Pierre Philippe, les musiques et arrangements sont de Juliette ou Didier Goret.

J’ai déjà cité Revue de Détail, sketch troupier féminin, coquin avec l’accent. Consorama est une brillante dissertation sur le monde consumériste en forme d’opérette publicitaire, avec orgue hammond et vibraphone (ambiance année cinquante, chœur de jingle radiophonique). La Géante est un conte moyenâgeux érotique inspiré de Rabelais. Puis Juliette nous joue une mère maquerelle de choc sur un air de jazz cabaret (Remontrances) une diva de music-hall Broadway avec I’m still here – Tenir (chanson de Stephen Sondheim). J’ai cité l’influence de Danny Elfman dans Le Festin de Juliette sans savoir que j’allais trouver dans Tueuses sur cet album une citation directe du thème du Noël de Monsieur Jack (clochettes comprises) dans cette chanson composée et arrangée par Didier Goret.

Deux Pianos (1996)

Concert à la salle Gaveau en 1996 avec Didier Goret, ou Juliette reprend la plupart les chansons de Rimes Féminines. Dans une salle classique, il était approprié de commencer par La Petite fille au Piano. Une petite bûcheronne du piano, une bête à concours comme il y en a tant (‘teigne comme l’était Rubinstein’) massacre les touches avec des airs de sainte nitouche et une rage effrayante contre le monde.

Pour préparer le conservatoire
Maman fait mander tous les soirs
De vieux messieurs habilités
A venir vérifier mon doigté
Sur moi ils ne posent pas leurs pattes
Maman l’interdit mais constate
Qu’eux partis, un machin brillant
Scintille au creux de mes rubans


Ca commence mimi donc puis ça commence à se dégrader.

Pour remporter le prix Cortot
(variante live : Pour jouer à la salle Gaveau)
J’ai joué comme on joue du couteau
Et pour épater les clampins
J’suis prête à massacrer Chopin


Puis la petite se déchaîne en improvisions mozartiennes et la voix gronde d’une haine destructrice. Les longs cheveux dans le dos et la robe de percale blanc cachent en fait l’un des anges de l’apocalypse:

Je jouerai pour vos faux prophètes
Et je jouerai pour vos défaites
Je jouerai pour vos dictateurs
Je jouerai quand vous aurez peur
Car on a besoin de virtuoses
A l’heure ou la bombe H explose
Et déchaînant mes sentiments
Je jouerai pour vos enterrements


Apres avoir susurré plusieurs textes intimistes (dont Les Timides, Papier Buvard, La Joconde), Juliette nous donne un autre grand moment de folie avec une bourrée/musette surréaliste aux accents d’Erik Satie: Tout est bon dans le cochon. Elle y déchaîne simultanément ses talents pianistiques et comiques (ce qui va tout de même assez rarement ensemble, il faut l’admettre), un peu comme quand Coluche jouait du violon avec des gants de boxe.

Désormais je veux chanter l’cochon
Le pâté, l’saucisson
Répétons sur cet air polisson
« Qui c’est qu’est bon ?
Ben, c’est l’cochon »


Paroles inoubliables, cette ode à la charcuterie prend des accents philosophiques (‘philosophique de base’ précise Juliette entre deux couplets) :

En ces temps d’régime allégé
La résistance
Passe par le gobage effréné
D’rillettes du Mans
C’est une drogue, une friandise
A un tel point
Qu’on en planque dans les valises
Comme Jean Gabin


Juliette et Didier s’amusent comme cochons en foire. La chanson se termine en un délire potache. On refait la coda, pour avoir un truc plus comme-il-faut (enregistrement salle Gaveau, rappelons-le…) et re-délire total.

Mutatis Mutandis (2005)

Mutatis Mutandis (ce qui devait changer ayant été changé) est le dernier en date des albums de Juliette. La patronne ne se contente pas de faire de grandes chansons (ici pour la première fois elle a aussi écrit toutes les paroles), elle les assemble en donnant une unité de couleur et de thème à chacun de ses albums. Rimes Féminines est une ode aux femmes et à la féminité ; la dominante, le fil rouge de Mutatis Mutandis, un disque plus sombre et plus inquiétant, c’est l’érudition latine, les mythes et les sonorités orientales, méditerranéennes.

La chanson éponyme nous parle de magie et de décadence.

Du temps que j’étais belle
Et bien un peu puérile
Je transformais les hommes en animaux
O combien de marins O combien d’imbéciles
J’ai changé en pourceaux
Mon nom vous parle encore
De légendes anciennes
Je m’appelle Circé
Et je suis Magicienne


Mutatis Mutandis
Ici je veux un groin
Un jambon pour la cuisse
Et qu’il te pousse aux reins
Un curieux appendice
Maintenant je t’impose
La couleur d’une rose
De la tête aux coccyx
Mutatis Mutandis


L’Incantation magique de Circé change ensuite de nature ; les hommes sont irrécupérables et le cochon – animal sympathique - est encore trop bon pour les eux ; pour hâter la fin du monde, Circé va donc nous pousser du coté des rongeurs et des charognards.

Mutatis Mutandis
Ici je veux des dents
Que ton poil se hérisse
Qu’il coule dans ton sang
La fureur et le vice

Mutatis Mutandis
Que brûle dans ton cœur
La haine et l’avarice
Et prend du prédateur
La sinistre pelisse
Sois aveugle et sois sourd
Et mène au sacrifice
La pitié, et l’amour


Dans Maudite Clochette, une soubrette modèle nous conte son sale métier dans les beaux quartiers et comment elle finira bien pour couper la tête à sa patronne.
Ambiance plus légère, Le Congres des Chérubins est une charmante comptine sur la réunion annuelle du syndicat des puttini, fesses a l'air et joues rebondies. Enfin deux beaux duos, l’un avec Guillaume Depardieu, l’autre comique avec son alter ego bourvillesque, François Morel (Mémère dans les orties).

Aucun commentaire: