29 décembre 2006

'The prairie home companion' by Robert Altman


C'est la dernière séance d'une émission de radio dans l'Amérique des grandes plaines, du côté de Saint Paul, Minnesota. On est pas très loin de Fargo (Nord Dakota) ou Madison (Sud Dakota), avec ses paysans d'origine norvégienne.

The Prairie Home Companion c'est le nom de ce programme hebdomadaire de chanson country, diffusé en direct et en public depuis un vieux théâtre, depuis la nuit des temps, depuis l'âge d'or de la radio. Ce genre d'émission décontractée, avec animateur chantant et débitant les réclames entre deux chansons, a disparu depuis environ 50 ans partout ailleurs, mais la nouvelle n'est pas parvenu jusque dans le Minnesota. Les propriétaires de la station ont décidé d'aller se dorer en Floride et leurs enfants ont illico décidé de vendre le théâtre pour en faire un parking, supprimant du même coup l'émission. Mais tout le monde fait semblant de rien, dans la tradition des paysans stoiques du mid-west qui pensent que si on ignore une mauvaise nouvelle, elle finira par s'en aller d'elle-même.

On fait la connaissance de la troupe des habitués entre deux âges. Les soeurs Yolanda et Rhonda Johnson (Meryl Streep et Lily Tomlin) nous servent des 'old favourites' sentimentaux (chansons d'amour dédiées à leur maman, chansons sur Jésus, hymnes au Mississipi...); le duo de cow-boys 'Dusty et Rusty' (Woody Harrelson et John C. Reilly) jouent des airs de country et débitent des mauvaises blagues de comique troupier; le vieux et vénérable crooner local (LQ Jones) poussent la chansonette d'une voix fragile. Ils vont tous se retrouver au chômage à l'issue de cette soirée. Cette collection de fossiles vivants, et attachants, réunis autour de l'animateur GK, est l'équivalent rural de la famille d'éclopés du music hall rassemblée par l'impressario new-yorkais Danny Rose dans le film de Woody Allen.
Il n'y a pas vraiment d'intrigue dans ce film; c'est juste le récit de la dernière soirée, sur scène et en coulisse. Précisons d'ailleurs une chose pour ceux qui se font une idée cynique et sarcastique voire 'anti-américaine' de Robert Altman d'après ses films les plus connus (Short cuts, MASH, Nashville, Un mariage, The player...): l'objet du film n'est pas de se moquer des chanteurs ruraux ou des gens de la Little America, ni de les encenser d'ailleurs. Il s'agit juste d'une chronique tendre, légère et nostalgique de l'Amérique populaire, qui a peu chanté depuis l'après guerre, dans un ton très proche du charmant Cookie's Fortune (1999). Altman n'est pas un cynique qui se serait subitement ramolli au seuil du grand départ. Son film s'inscrit dans une longue tradition de comédies nostalgiques et documentées, de Broadway Danny Rose et Radio Days de Allen, Honky Tonk Man de Eastwood, O brother where art thou des Coen ou Kansas City d'Altman lui même (natif de cette autre ville du mid-west). Country, swing, blues ou jazz, c'est toujours un hommage aux artisans de la musique populaire américaine - certains penseront 'par opposition aux usines hollywoodiennes et au star system'; peut-être, mais là n'est pas le propos d'Altman et de tout ces films.

J'ai évité de lire les critiques qui j'en suis sûr nous font le coup du 'film-testament'. Evidemment ils ont des éléments: c'est une histoire de baisser de rideau; le thème de la mort parcoure nonchalament le film sous la forme d'un joli fantôme qui n'aurait pas déplu à Brassens (Virginia Madsen); c'est un hommage sans ironie au petit monde du divertissement; et puis on pourrait voir dans le vieux séducteur à barbiche blanche qui meurt en coulisse, un sosie de Altman lui-même mettant en scène sa mort, survenu quelques mois seulement après ce tournage... Les mêmes critiques people avaient déclarés que The Dead (Gens de Dublin) était le 'film testament' de Huston, par exemple. Je conteste ça; je ne veux pas savoir dans quel état de santé ou état d'esprit était le type quand il a écrit ou réalisé un film. Altman, comme Huston, aimait la vie et aimait son métier; ils étaient tous les deux des gars qui ne se prenaient pas trop au sérieux et étaient exempt de la maladie de la gravité. Je suis sûr que l'un et l'autre espéraient faire encore d'autres films; comme le montre encore The Prairie Home Companion, Altman - comme Huston, come Eastwood, comme Allen, se considérait comme un artisan conteur et amuseur, et non pas, comme on a toujours tendance à le penser en Europe, comme un intellectuel à 'message'. Ce que Altman 'avait à dire', il l'a dit avant - comme dit Juliette.

La meilleure preuve en l'occurrence est que ce film est effectivement autobiographique, mais foin des métaphores testamentaires, c'est la vie d'un autre dont il s'agit! Le scénario a été écrit par Garrisson Keillor, natif de Anoka, Minnesota, de famille scandinave, qui en 1974 lançait l'émission radiophonique The Prairie Home Companion à Saint Paul. GK joue donc son propre rôle de présentateur-animateur dans ce script inspiré par sa carrière, et plusieurs musiciens et chanteurs à l'écran sont véritablement des types qui jouaient dans ses émissions. Voilà pour le film-testament: Altman a mis en scène le script de Garrison Keillor.

Le principal suspense du film c'est oui ou non GK va-t-il faire un speech à la fin de l'émission, pour rendre hommage au vieux chanteur qui vient de mourir en coulisse, dire adieu et merci aux auditeurs, se rebeller contre les patrons de la stations qui arrêtent l'émission? Va-t-on avoir un grand moment d'émotion lacrymale? Eh bien non, Dieu merci rien de tout cela. A la fin, GK dit au revoir, merci, à la semaine prochaine avec le ruban adhésif rub-o-matic, prions dieu pour qu'il arrose les champs de maïs et gardons notre humour au sec. Pour le coup, Altman n'aurait pas dit autre chose.

Voilà pourquoi j'aimé cette petite comédie sentimentale et sans prétention; on est certes un peu dans le mélo (ce qui d'ailleurs pour moi n'est pas une insulte), mais on reste dans l'ensemble au sec. Quelques faiblesses sérieuses et évitables, cependant. D'abord le personnage de Kevin Kline cabotin absolument inutile; ensuite le personnage du joli fantôme et le recours au 'magical realism' qui alourdit le film; enfin la mort du vieux crooner en coulisses, si elle reste traitée légèrement, est une métaphore redondante. Le film aurait gagné à être encore plus simple et encore plus documentaire.

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